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Photo du rédacteurCamille Prost

Comprendre les financements européens pour la musique avec Helena de Winter

"Chronophages", "très lourds administrativement", "incompréhensibles" sont souvent les dénominatifs qui me remontent aux oreilles lorsque je parle à mes clients de financements européens. Il me fallait donc une experte pour traiter de cet épineux sujet (petite transition avec les roses de Chédigny de l'article précédent !) et vous aider à y voir plus clair.
Rendez-vous pris avec Helena de Winter, spécialiste des financements européens.
Un entretien en cinq questions.

1. Pourquoi et comment es-tu devenue une experte des financements européens ?

Dans mon activité, il y a deux éléments qui sont essentiels pour moi et qui ont conditionné mes choix professionnels :

- La coopération européenne, et l’ouverture qu’elle peut apporter à une structure. Il ne s’agit pas forcément de multiplier les actions à l’international, mais bien d’échanger et de coopérer autour de ses pratiques, et de s’inspirer de ce que peuvent faire d’autres structures aux cultures différentes. Ayant grandi dans un environnement multiculturel, et ayant vécu en Finlande, en Allemagne, au Royaume-Uni, il était impensable pour moi de ne pas travailler à un niveau international !

- Et bien sûr l’appétence pour la culture et plus particulièrement pour la musique.

Devenir experte des financements européens, et du développement international de structures culturelles, de manière plus générale, a été un moyen de concilier ces deux aspects !

Cette expertise n’est pas arrivée du jour au lendemain. J’ai travaillé pour plusieurs structures dans le secteur musical qui bénéficiaient de financements européens :

Le European Union Baroque Orchestra, pour lequel j’ai travaillé de 2009 à 2011, et qui était à l’époque encore basé au Royaume-Uni : un orchestre de jeunes professionnels, renouvelé tous les ans, et largement financé par la Commission Européenne.

À partir de 2011 et jusqu’en 2021, j’ai été la secrétaire générale du Réseau Européen de Musique Ancienne (REMA). Celui-ci avait également des financements européens, dès mon arrivée et de manière continue jusqu’à aujourd’hui.

J’ai donc acquis une expérience solide au fil de ces expériences.


2. Il y a beaucoup d'idées reçues : les dossiers sont longs, compliqués, très

chronophages. Est-ce un mythe ?

Oui et non.

Lorsqu’on évoque les financements européens, on pense principalement aux projets de coopération financés dans le cadre d’Europe Créative, le programme de référence pour le secteur culturel et créatif.

Ces projets se font en plusieurs phases :

1. Le montage du projet et la demande de financement : la compétition est importante (environ 10 à 30% de réussite selon les appels). Et les dossiers à remettre dans ce cadre sont en effet très complets – et longs ! Ils imposent aux porteurs de projets d’avoir des objectifs très clairs, d’avoir un partenariat soudé, et un plan d’action sur 18 à 48 mois relativement détaillé. Forcément, cela prend du temps à préparer ! Toutefois, je suis persuadée que la réflexion nécessaire à la préparation d’un projet Europe Créative peut s’intégrer dans une perspective de développement international plus générale, et, si la préparation est bien faite, permettre à la structure de définir ses orientations de développement de manière approfondie - ce qu'elle n'aurait peut-être pas pris le temps de faire avec autant de précisions en dehors de tels dossiers.

2. Si le financement est accepté : La mise en place du projet. Étant donné que les projets Europe Créative sont des projets de coopération, impliquant donc plusieurs partenaires et des budgets de plusieurs centaines voire millions d’euros, il faut forcément de la main d’œuvre pour les mettre en place et coordonner.

3. Le rapport, l'évaluation et la publication de résultats : Europe Créative impose des rapports financiers et d’activité relativement détaillés. Dès la mise en place du projet, l’idéal est de prévoir les outils nécessaires pour l’envoi d’informations d’ordre comptable, et de retours sur les actions.


Toutefois, la Commission Européenne a également mis en place des programmes de financement aux montants de subventions moins importants et aux dossiers simplifiés.

On peut citer notamment le programme Culture Moves Europe, dédié à la mobilité des artistes et professionnels de la culture, avec un volet destiné aux artistes et professionnels, et un autre aux structures accueillant des résidences.

MusicAIRE a été un programme pilote dans le secteur de la musique, et devrait évoluer et s’accompagner d’un nouveau programme de subventions l’an prochain.

LiveMX est un programme qui va être lancé en fin d’année 2023, avec des appels destinés principalement aux lieux de musiques actuelles.


3. À qui s'adressent précisément ces types de financements, aujourd'hui, dans le monde musical ?

À toute structure qui le souhaite : toute structure légale peut déposer un dossier Europe Créative !

Toutefois, en ce qui concerne les projets de coopération, il y a un taux de cofinancement à prendre en compte : 20% pour les projets à petite échelle (subvention max. de 200 000 €) et jusqu’à 50% pour les projets à grande échelle (subvention max. de 2 000 000 €).

Il faut donc avoir la capacité d’obtenir d’autres financements.

Par ailleurs, il faut également avoir assez de trésorerie, étant donné que les subventions sont versées en plusieurs fois, avec une partie versée seulement après la validation du rapport final. Les structures partenaires, et en particulier celle qui coordonne le projet, doivent donc être assez solides administrativement et financièrement pour faire face à ces contraintes.


Si l’on observe les structures du secteur musical qui ont obtenu des financements Europe Créative ces dernières années, il y a quelques structures aux équipes importantes, qui ont développé une véritable expertise européenne.

Je pense notamment au Centre Culturel de Rencontre d’Ambronay, lauréat de financements européens depuis des années, ou encore au Festival d’art lyrique d’Aix en Provence mais également à des structures aux équipes moins importantes telles que Piano and Co – structure artistique dirigée par la pianiste Nathalie Négro qui mène actuellement un projet autour de l’(in)visibilisation des femmes, la SMAC Le Périscope qui mène un projet à grande échelle autour de l’organisation de tournées plus durables et éco-responsables, etc.


En dehors des contraintes administratives et financières, la problématique principale est de développer un projet qui corresponde aux objectifs des programmes de financement européen. Or, pour Europe Créative notamment, les critères de sélection ne reposent pas sur une validation artistique, mais sur d’autres objectifs tels que le développement des publics, l’inclusion sociale, le développement durable, la transition digitale, etc.


4. Dans une optique de développement, à quel moment est-il judicieux de s'y atteler ? Peut-on se lancer sans avoir reçu des aides plus locales, par exemple ?

Je trouve intéressant de lier un développement international de structure à un développement territorial.

Ce n’est pas un critère rédhibitoire, mais il est utile d’avoir une bonne implantation locale et des partenaires engagés et solides avant de se lancer dans un développement international impliquant des coopérations avec différents partenaires.

Ceci dit, je ne peux que conseiller de commencer à développer son réseau international rapidement, sans que cela ne soit lié à un objectif de coopération immédiate. Les objectifs peuvent être de l’ordre de la diffusion, de l’échange de bonnes pratiques, de l’inspiration, etc.


En revanche pour se lancer dans des coopérations Europe Créative, étant donné que les projets ne sont pas financés à 100% par l’Europe, il faut déjà avoir des sources de revenus autres (subventions publiques, mécénat, etc.), ce qui implique d’avoir une certaine implantation territoriale.


5. Aurais-tu des conseils pour nos amis fundraisers, artistes, directeurs artistiques qui voudraient se lancer ?

1. Intégrer les projets de coopération européenne dans les orientations de la structure, avec une perspective de développement international plus générale

2. Développer son réseau international sur le long terme (sans que ce ne soit lié à un appel à projets spécifique), par exemple, en participant à des événements et rencontres professionnelles, en profitant de festivals internationaux, en utilisant les réseaux culturels

européens...

3. Ne pas voir les financements européens comme une source de revenus supplémentaires pour des actions existantes, mais comme un accompagnement dans un engagement et une réflexion autour de sa structure et de son secteur de manière plus globale. Les financements européens peuvent permettre de financer du temps de réflexion, de recherche et de développement, ce que ne permettent souvent pas les autres financements tels que la DRAC, les collectivités et certains financeurs privés.

... Et un 4ème conseil :

4. Si l’on se sent un peu perdu face à tout cela, se faire accompagner !


Merci beaucoup, Helena, pour ces réponses claires et précises.

À bientôt, quelque part en Europe !


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Crédits photo portrait d'Helena de Winter : ©Jean-François Lange



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